Le Fantastique


Le fantastique est, de même que dans le champ littéraire, dans une position ambiguë. En effet, l'hésitation propre au fantastique (pour mémoire : le monstre est-il du domaine de vrai, du réel, ou n'existe-t-il que dans mon imagination ? De ce balancement entre le possible et l'improbable surgit la notion même de fantastique) mène forcément à sa propre négation.

Le fantastique ne reste que très rarement au stade du stricte balancement et le cinéma fantastique encore moins. Pour preuve il suffit de penser aux adaptations du chef-d'œuvre d'Henry James Le tour d'écrou, les divers adaptateurs ont tous cédé à la tentation de donner une réponse à l'ambiguïté, de la faire disparaître au profit d'une explication plausible.

Quelle explication trouver ? Est-ce que la nature foncièrement dérangeante du fantastique, sa matérialisation de nos peurs et angoisses (surgies de l'enfance bien souvent) ne peut qu'être désamorcée par une explication finale ? Dire que le monstre existe, dire qu'il n'était qu'un mauvais rêve, revient toujours à la même chose : donner une explication validant notre angoisse.

Le film de John Carpenter, L'Antre de la folie, est à ce titre d'une efficacité frisant l'insolence. Son héros se trouve effectivement perdu dans diverses réalités. Il va rencontrer le monstre, lutter contre lui de toutes ses forces, perdre sans pouvoir y faire son amour, ses convictions, ses espoirs... Pourtant la partie est perdue d'avance car le monstre est l'auteur, au sens propre, de sa destinée.

Détective pour une compagnie d'assurance, il doit retrouver un écrivain de fantastique ayant disparu avant la publication de son nouveau roman. Le thème de la réalité perturbée se trouve ainsi subtilement introduit, non pas comme une problématique propre au cinéma, mais bel et bien comme un élément foncièrement littéraire ! Car le héros va glisser progressivement dans les pages mêmes des livres... Des livres d'horreur, bien sûr.

Le cinéma nous renvoie ainsi, à travers des références à H. P. Lovecraft ou Stephen King, au domaine du littéraire.

Comme si d'une manière obsédante, le rapport quasi physique de l'image et de l'illusion ne pouvait se dénoncer lui-même sans passer par l'écriture. L'ironie flagrante de la fin du film, montrant une fin de monde se déroulant dans un cinéma désert parle ici d'elle-même...

Qu'en est-il cependant de ces films qui semblent à la lisière? On ne peut pas dire que Lost Highway soit un film fantastique. Il n'est pas ici le lieu de trancher entre les notions de film expérimental ou de film d'art. Disons que Lynch a l'intelligence de placer le spectateur dans un espace des possibles, instable, fluctuant où, à l'instar du fantastique tout devient possible. La folie y modèle le réel : le monde devient un espace conscient non plus consensuel mais façonné par l'individu. Ainsi l'espace créé devient un espace du signe signifiant.

Le réel représenté par Lynch est ainsi un réel en représentation, un moment où la manière de raconter l'histoire, la forme même du film, devient le fourneau duquel sort un réel malléable et labile.


La science-fiction


La science-fiction aborde le thème de la réalité perturbée sans la même crainte du monstre que le fantastique. D'une part parce que les éléments d'horreur qui peuvent être présents sont aisément rationalisés grâce à des explications scientifiques (voir L'Echelle de Jacob) : le monstre qui était là et qui me faisait peur n'était que la conséquence, ou la matérialisation, d'une expérience scientifique qui avait mal tourné. En SF comme ailleurs les savants fous sont toujours très pratiques à utiliser !

D'autre part, l'explication peut ne jamais venir, n'être que qu'une attente de la part du spectateur. Il suffit de penser à 2001 et d'accepter que, oui, c'est plein d'étoiles...

En effet c'est du côté des adaptations de textes littéraires que le cinéma de science-fiction va trouver ses principales sources d'inspiration. Il est certains qu'il doit être plus facile de convaincre les producteurs quand le scénario est adapté d'un roman "culte".

L'adaptation du roman de Kurt Vonnegut, Abattoir 5, si elle trahit par bien des aspects le roman original, demeure une passionnante tentative d'inventer un langage cinématographique permettant de rendre visuellement l'expérience d'un réel instable.

Les diverses transpositions de l'oeuvre de Philip K. Dick ont connu plus ou moins de bonheur. Elles vont de l'oeuvre maîtresse, Blade Runner, au très surprenant Total Recall.

L'accès à l'ambiguïté narrative suppose une confiance tant en l'intelligence du spectateur qu'une foi inaltérable en la viabilité marchande de son projet. En effet, comment peut-on se pencher sur une forme d'art qui est aussi une industrie sans s'interroger, en passant, sur l'aspect commercial de l'entreprise?...

Les succès populaires n'ont pas été toujours au rendez-vous, la reconnaissance critique plus ou moins immédiate. Cependant ces films se font. Cela témoigne, à sa petite manière, de la vitalité d'un art que l'on condamne un peu trop facilement.

Quelques films, qui sont loin d'être expérimentaux, qui -- sans être non plus des manifestes -- ont trouvé une large audience, des films qui parlent du réel, qui parlent de nous.



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